Nous abordons donc la question du classement du Sacré Cœur qui ne peut se faire sans polémique.
Présenté sous les traits d’une simple formalité administrative, ou comme une reconnaissance tardive de l’architecture du XIXème siècle autrefois méprisée, nous savons que cet acte constitue une profonde attaque contre l’action des communards et notre histoire républicaine. Une action que nous avons su reconnaitre l’année dernière à travers de multiples manifestations y compris au pied de la colline du Sacré-Cœur dans le désormais bien nommé square Louise Michel.
Cette délibération fait abstraction de la dimension historique du lieu pour ne s’intéresser qu’à l’aspect patrimonial. Comment évoquer ce monument sans parler de son rapport à la Commune ? Pourquoi choisir d’aborder cette question uniquement sous l’angle patrimoniale et religieux ? Invoquer dans l’exposé des motifs que « le choix du lieu répond notamment à un manque d’églises dans cet ancien village annexé par la Ville de Paris en 1860 » est pour le moins hasardeux quand on connait l’histoire du choix du lieu dont les origines sanglantes de l’édifice ont été pensées contre la révolution française de 1789 et la Commune de Paris.
Alors, certes, nous avons évité le télescopage de dates entre le classement de la basilique de Montmartre et l’anniversaire de la Commune de Paris. Il n’en reste pas moins que ce classement reste un affront à la mémoire des communards qui avaient su mener pendant 72 jours « la révolution la plus moderne, la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire », une révolution qui a prôné la séparation de l’Église et de l’État, l’instruction laïque et obligatoire, qui a organisé le plafonnement des salaires et imposé l’égalité femmes /hommes…
Mais la commune c’est aussi une semaine sanglante qui réprima le peuple parisien et ces 72 jours d’espoir avec comme objectif très clair de traumatiser la population, de la dissuader de toute future révolution ». L’aboutissement de cette répression, c’est l’édification de cet odieux édifice religieux sur ces morts que l’on estime à près de 30 000.
Cette semaine sanglante oubliée fut littéralement enterrée sous un édifice d’une blancheur dite « éternelle » par le choix de cette pierre blanche qui a la particularité de secréter une substance blanche sous l’effet de l’eau, le calcin. Cela rend le choix du lieu, de l’architecture du bâtiment plus encore provocant encore.
La modification du statut de cette basilique n’est donc pas neutre tant cet édifice s’est construit dans un contexte d’ordre moral qui fait suite à un siècle de soi-disant déchéance morale depuis la révolution française jusqu’à la Commune de Paris ; ces révolutions qui ont été vécues comme une véritable insulte par une partie de la France qui perd ensuite la face à une Prusse puissante qui finit par prendre l’Alsace et de la Lorraine. La construction du Sacré-Cœur s’écrit dans la continuité d’un récit national monarchiste et clérical afin « d’expier les péchés imputés à la Commune », de faire payer peuple parisien leurs affronts vis-à-vis de l’ordre moral, de réparer cette défaite de 1870...
Ériger cette basilique sur la butte de Montmartre, là où ont débuté les événements de la Commune, là où les communards avaient tenu tête aux troupes versaillaises de Thiers et défendu les canons fabriqués jadis pour repousser l’invasion prussienne… Ériger cette basilique à cet endroit est un affront, un parti pris politique qui vise à raviver les tensions mémorielles.
Alors oui, plus de 150 ans après, la mémoire reste vive et écorchée face à cet édifice qui symbolise, pour beaucoup, l’obscurantisme le plus total. Zola ne disait-il d’ailleurs à son propos : « Je ne connais pas de non-sens plus imbécile, Paris couronné, dominé par ce temple idolâtre, bâti à la glorification de l’absurde. Une telle impudence, un tel soufflet donné à la raison, après tant de travail, tant de siècles de science et de lutte ! » D’ailleurs, le personnage principal de son livre Paris, ne rêvait-il pas de le faire sauter.
Beaucoup d’autres en ont rêvé, y compris sur nos bancs, [et même Lionel Jospin qui avait été jusqu’à dire que s’il avait le pouvoir de raser un édifice parisien, ce serait le Sacré-Cœur !]
C’est pourquoi nous demandons de renoncer au projet de classement aux monuments historiques de la basilique du Sacré-Cœur. Nous voterons donc contre cette délibération.