"Lulu dans ma rue" est présentée comme un dispositif d’insertion par le micro-travail... Tout un programme dès l’annonce n’est-ce pas ! Alors que font ces micro-entrepreneuses et micro-entrepreneurs, décrits comme des personnes pour qui l’activité salariée serait si inadaptée ? Hé bien, elles et ils font de la conciergerie, de l’arrosage de plantes, du ménage, du bricolage, autour de 9 kiosques dédiés dans Paris. Bref, que des choses qu’on fait très bien avec du salariat.
Car je ne sais pas pour vous, mes chers collègues, mais pour moi, ces activités ne sont pas des activités entrepreneuriales. Comment y voir le développement d’entreprises lorsque les activités des bénéficiaires se résument à juste faire plus d’heures ? Quand ils choisissent pas leur stratégie d’action, leur accroissement, leur diversification d’activité, etc.? Comment ne pas voir un contrat de travail lorsque la structure qui envoie les travailleurs sur des missions :
- fait le lien avec les clients,
- organise et détermine les niveaux de rémunération,
- place les travailleurs dans les conditions matérielles de réaliser l’activité,
- quand cette activité consiste à réaliser le service que la boîte propose sur le marché et pas une activité accessoire à celle-ci...
Hé bien si vous réalisez une activité dans ces conditions, vous n’êtes pas un indépendant, vous êtes un salarié de cette structure.
Monter sa boîte, c’est pas seulement s’enregistrer dans un registre en 3 minutes chrono sur internet.
Avec ma collègue Raphaëlle Primet, nous avons rencontré des bénéficiaires dans le 20e arrondissement ainsi que les équipes de Lulu dans ma rue. Loin de nous rassurer sur la nature du dispositif, cela nous a conforté avec mon groupe dans nos défiances.
Nous avons bien entendu le président de Lulu dans ma rue expliquer que « ses Lulu » ne voulaient pas être salariés... Mais le statut de salarié, il ne dépend pas de la volonté des parties au contrat, il ne dépend des conditions de réalisation de fait de l’activité professionnelle. En gros, est-ce qu’en pratique, c’est une activité subordonnée ou non. C’est ça l’ordre public social. Sinon c’est la porte ouverte à tout. Sans ça, demain n’importe quel employeur vous embauche en indépendant pour fuir ses responsabilités d’employeur. D’ailleurs, combien de personnes reçoivent des annonces de Pôle emploi pour devenir « lulu » sans avoir rien demandé, sans aucune volonté de devenir indépendantes ? Mais combien de gens vont accepter de cliquer pour juste avoir de quoi survivre ? C’est de l’esprit d’entreprise ça ? Bah non, c’est de la concurrence sociale entre les travailleurs pauvres, une course au moins disant, et ça tire tous les travailleurs vers le bas. Du coup, il nous faut bien avouer que nous ne comprenons pas le temps et l’énergie dépensés pour sauver un dispositif d’ubérisation des travailleurs précaires. Parce qu’il faut bien le dire, Lulu dans ma rue, en dépit des beaux discours de son Président, ce n’est pas autre chose que cela. D’ailleurs, comme Deliveroo et Uber, le service est organisé par la plateforme, et les travailleurs sont prélevés par celle-ci de 20% de leur rémunération ! Comment peut-on justifier un truc pareil ?
Les SIAE pourraient très bien proposer les mêmes services, tant sur l’aspect insertion que le l’aspect organisation de l’activité. Elles permettent de l’autonomie des travailleurs avec des choix de nombre d’heures et d’horaires à réaliser, mais avec la protection du droit social, c’est-à-dire avec le droit au chômage, aux congés payés, au droit du licenciement, et tout le reste...
Alors on nous dit que les travailleurs de Lulu gagnent en moyenne entre 800€ et 900€ par mois et que c’est, je cite, « plus que la moyenne du secteur ». Chez Shiva, nous dit le président, ce serait entre 700 et 800€. Sauf que chez Lulu dans ma rue, il n’y a pas de cotisation employeur, il n’y a pas de protection sociale au niveau de régime salarié, il n’y a pas de cotisations pour les congés payés,... Les travailleuses et travailleurs sont laissés seuls pour gérer tous les problèmes avec les caisses en cas de maladies, ils n’ont plus de chômage en cas d’arrêt d’activité mais, au mieux, le RSA... Et puis de chez Shiva et compagnie, on ne ponctionne pas les hommes et femmes de ménages de 20% pour avoir le droit de travailler...
Pourquoi financer un tel modèle alors qu’on peut faire exactement la même chose avec du salariat, donc avec plus de protection, grâce aux SIAE par exemple ? Nous ne le comprenons sincèrement pas. Et pourquoi ce financement se fait à hauteur 2 688€ par ETP en année pleine, alors que pour les activités indépendantes, ce que prétend faire Lulu dans ma rue, c’est 1000 € pour un ETP ?
Chers collègues, l’engagement de cette majorité contre l’ubérisation n’est plus à démontrer. La maire elle-même l’a rappelé, ici, à de nombreuses reprises. Lulu dans ma rue a su, comme toutes les plateformes de travail de ce type (Deliveroo, Uber...) se présenter comme novatrice alors qu’in fine le modèle s’est en pratique révélé rétrograde. Les éléments dont nous disposons nous oblige à mettre un terme à son financement.
Nous entendons que vous demandez un délai de 4 mois pour permettre un changement du modèle, pour qu’il passe de l’uberisation au salariat. Nous entendons l’enjeu pour les travailleurs pris en charge, et l’importance de cet ultime délai. Alors, sous réserve du vote de notre vœu, qui garantit que nous ne financeront plus Lulu et toute autres structures de ce type à l’avenir si elles n’ont pas basculé vers le salariat pour les bénéficiaires, nous nous abstiendrons sur la délibération.