Tout d’abord je souhaite remercier chaleureusement M. Szpiner et le conseil d’arrondissement du 16ème pour cette très belle proposition.
A la veille de son exécution, Missak Manouchian écrivait dans une lettre à sa femme Mélinée : « Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. » Je crois que personne n’illustre mieux cette conviction qu’Albert Ouzoulias.
Toute sa vie il aura œuvré à rendre hommage aux résistants. C’est d’ailleurs suite à son initiative de 1951, en tant que conseiller de Paris, qu’une rue du 20e arrondissement est baptisée rue du Groupe-Manouchian 4 ans plus tard. Mais avant d’être conseiller communiste de Paris, Albert Ouzoulias fut mobilisé au sein du 12e régiment d’artillerie coloniale d’Agen, où il sera fait prisonnier par l’armée allemande le 12 juin 1940 et interné dans un Stalag en Autriche. Bien avant la guerre il est déjà encarté à la CGT-U et au Parti communiste français.
Attaché à l’idéal de liberté, comme ses camarades de la cellule clandestine du parti communiste français du Stalag, il lui faudra un an pour déjouer la surveillance des gardes. Puisque rien ne peut s’opposer à l’optimisme de la volonté il s’évade le 26 juillet 1941 et parvient à regagner la France. Alors qu’il a connu la détention il décide tout de même de poursuivre la lutte contre l’occupant nazi et intègre dès le mois d’août les bataillons de la jeunesse, le réseau de résistance lié aux jeunesses communistes. En avril 1942, lorsque le communiste Charles Tillon unifie les Bataillons de la Jeunesse, l’Organisation spéciale et la Main d’œuvre immigrée-MOI soit les trois organisations de résistance communistes dans les Francs-tireurs et partisans, Albert Ouzoulias est nommé commissaire militaire national. Il répondra désormais au nom de Colonel André.
C’est à ce titre qu’il avait en charge George Epstein et Missak Manouchian. Albert Ouzoulias considérait d’ailleurs qu’il devait sa vie à leur courage puisque même sous la torture, George et Missak n’ont pas parlé. Une fois la guerre terminée, Albert Ouzoulias a poursuivi son engagement politique toujours attaché à cet idéal de justice et de liberté. Comme nous qui sommes assis sur ces bancs, il fut conseiller de Paris de 1945 à 1965.
En 1946, dans une France à reconstruire et où les logements manquent cruellement, en tant que conseiller de Paris, il s’attaquait aux spéculateurs hôteliers censés logés les familles, qui, à l’instar de ce qui se pratiquait sur le ravitaillement, surfaient sur la misère après-guerre. Je le cite : « Ils profitent de la crise du logement comme les mandataires et les chevillards profitent de la crise de l’alimentation. Je peux même l’indiquer, à ce sujet, qu’un certain nombre de mandataires pensant que la crise du logement durera plus que la crise du ravitaillement, viennent ces semaines dernières d’acheter des hôtels meublés, en particulier dans le 15e arrondissement, où ils se proposent de faire payer des prix de location qui atteignent déjà le quadruple, le quintuple et même en certains cas le sextuple de ceux pratiqués en 1939. »
Pour cette raison il demandait notamment la fixation des prix des loyers pour ne pas laisser la possibilité aux profiteurs de misère de s’enrichir. Il a multiplié les combats pour le droit au sport, pour la mémoire, pour le logement ou encore celui qu’il portait en 1949 quand il proposait, en tant qu’internationaliste, la mise à disposition du service d’hébergement pour les travailleurs algériens des locaux de la caserne Bessières.
Internationaliste il l’était puisqu’il avait suivi l’appel d’Henri Barbusse et Romain Rolland au sein du comité Amsterdam-Pleyel. Dans son livre Les bataillons de la Jeunesse, Albert Ouzoulias rappelait, je le cite « Surtout, n’ayez pas le sentiment que les résistants furent des êtres exceptionnels ». Avant que cette sale guerre ne cause ces dégâts humains, dans l’un de ses poèmes, Missak Manouchian écrivait que la vie n’est pas dans le temps mais dans l’usage.
Qu’ils furent juifs, chrétiens, gaullistes ou communistes, ils n’étaient pas exceptionnels, mais tous ont pleinement fait usage de leur vie parfois jusqu’à la perdre, tous ont agi pour la liberté et Albert Ouzoulias, assurément, était de ceux-là. Sa vie en atteste. Le groupe communiste votera, évidemment,favorablement afin de renommer le chemin des Réservoirs face au monument des fusillés dans le bois de Boulogne, en son hommage.