Le 25 février 2023, François Hadji-Lazaro nous quittait. Et avec lui, c’est tout un pan de la culture populaire parisienne qui s’est éteint. François, c’était une voix, une gueule, une silhouette — reconnaissable entre toutes — mais surtout, une âme profondément parisienne, éprise de liberté, de gouaille et de musique. Il disait : « Tant qu’à avoir une gueule effroyable, autant en profiter. » Et il en a fait une icône : crâne rasé, bedaine ceinte de bretelles-mètre-ruban, une trogne d’ogre tendre, un regard mélancolique mais jamais résigné.
Né en 1956 dans le 15e, dernier enfant d’une famille de la classe moyenne, fils d’un résistant déporté à Mauthausen, il grandit dans un environnement politisé. Membre des jeunesses communistes, fidèle à ses idéaux toute sa vie, il s’est toujours battu contre l’extrême droite – verbalement, artistiquement, et parfois physiquement. J’avais d’ailleurs eu la chance de l’interviewer pour le journal des jeunes communistes Avant-garde, il y peut être bien déjà 40 ans .. Il a poursuivi son engagement un moment au NPA et ensuite avec le Front de Gauche. Sa chanson Homosexuel, sortie en 1985, fut un acte politique à une époque où ce mot n’avait pas encore droit de cité dans les refrains.
Musicien autodidacte, il jouait d’une trentaine d’instruments, de la vielle à roue à l’oud, en passant par l’accordéon, le pípa ou le ukulélé. Il avait le génie de mélanger punk, chanson réaliste, musette et rock alternatif. Fondateur des groupes Pigalle et Les Garçons Bouchers, membre des Los Carayos et bien d’autres encore, il a mis en musique l’âme des quartiers populaires de l’Est parisien. « Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs », tube mélancolique et joyeux, est devenu un hymne générationnel, bien que ledit bar n’ait jamais existé – « Je ne voulais mettre personne en danger », disait-il.
Il a écumé les bars corses de Pigalle, transformé le bar Gambetta chez Jimi dans le 20e en salle de concert où sont passés la Mano Negra, les Wampas ou Pigalle. Il a rêvé d’une scène alternative libre et puissante, en fondant Boucherie Productions, un label indépendant qui a permis à une génération d’artistes de voir le jour — Parabellum, Les Tétines Noires, Happy Drivers, Paris Combo, la Mano Negra...
Producteur, passeur, visionnaire, Hadji-Lazaro voulait « torpiller le système capitaliste du disque », faire émerger des talents hors des circuits commerciaux. Le rêve s’est fracassé sur la crise du disque. En 2001, le label dépose le bilan. Il poursuivra en solo, signant trois albums pour enfants, rencontrant un nouveau public. « Le punk m’a calmé, le vin m’a sauvé », disait-il avec l’ironie tendre qu’on lui connaissait.
Acteur aussi – chez Tavernier, Caro et Jeunet, dans Le Pacte des Loups –, il avait cette capacité rare à incarner l’underground avec une humanité éclatante. Ni donneur de leçon, ni récupérable. Après sa disparition, ses anciens compagnons des Garçons Bouchers ont entamé une tournée hommage, initiée à la Fête de l’Humanité en septembre 2023. Loin d’une opération commerciale, c’est un geste sincère pour faire vivre sa mémoire. Sur scène, François est là, à travers ses enregistrements, des vidéos réalisées par son fils, et surtout par l’émotion partagée avec le public. Impossible de reformer le groupe sans lui, mais cette tournée, prévue jusqu’en 2025, prolonge son héritage musical et militant. J’espère que le groupe sera invité lors de l’inauguration.
Aujourd’hui une page c’est donc tourné. Paris lui rend un hommage officiel. Le vœu que nous avions présenté en 2024 se concrétise : une plaque dans la rue du Plateau, dans le 19e, là où se situait son label. Ce n’est pas seulement un hommage à un artiste, mais à un pan entier de notre histoire populaire, musicale et politique. J’espère que nous serons nombreux le jour de la pose de la plaque ! Merci.