CherEs collègues,
Dominique Bernard, notre concitoyen, notre collègue, a été lâchement assassiné le 13 octobre dernier. Trois ans après Samuel Paty, Dominique Bernard a été assassiné pour ce qu’il était, un enseignant, un passeur de savoir.
Assassiné dans un acte odieux, un acte de haine. Un acte qui marque une fois de plus la détestation du savoir, de l’esprit critique et de tolérance que les obscurantismes religieux de tous poils produisent en masse. Un acte de haine contre la liberté de l’esprit, la liberté de la pensée, la liberté de la conscience que propagent les extrêmes-droites religieuses, en l’occurrence islamiste. Mais sans exclusivité.
Face à cette haine ressassée, construite et instrumentalisée, nous avons à nouveau envie d’affirmer : Vous n’aurez pas notre haine. Car nous ne lutterons pas contre la haine par la haine. Je reprendrai les mots de la famille de Dominique Bernard, « Aux jeunes et au monde, Dominique dirait : “Ne cédez pas à la peur, à l’obscurantisme, à l’intolérance.”. C’est un message d’espérance, pour que mon frère ne soit pas mort pour rien ». La sœur et la mère de Dominique Bernard souhaitent ainsi, je cite « un électrochoc pour nous faire dire à tous qu’il faut de la tolérance, pour que la France reste une terre d’accueil. » Un mois et une loi au Sénat après, on peut que constater que le travail reste devant nous.
Si nous ne lutterons pas la haine à la haine, nous n’en oublierons pas pour autant de lutter. Nous ne céderons rien sur nos valeurs. Il s’agit pour nous de réaffirmer l’incontournable lutte pour l’émancipation, notre horizon indépassable. Et de le traduire dans nos actes.
Notre responsabilité politique est bien sûr de témoigner de l’émotion de tout un peuple. Et du refus massif de la haine et de l’intolérance. Mais notre responsabilité politique est aussi de produire des actes qui feront reculer cette haine, et qui feront progresser la tolérance et le savoir. Il ne saurait être question de verser des larmes de crocodiles au pic de l’émotion. Et en même temps, de saper l’éducation nationale, qui est le meilleur outil pour émanciper les individus, et faire reculer les obscurantismes. Il ne saurait être question de verser des larmes de crocodiles puis de retirer à l’éducation nationale les moyens d’accomplir ses missions.
Nous attendons beaucoup de l’école de la République. A juste titre. L’école est bien sûr et avant tout, le lieu singulier de transmission des savoirs. Le lieu d’apprentissage de l’esprit critique. De remise en question des déterminismes culturels et sociaux. De formation d’un en-commun qui porte en germe la cohésion de notre pays à l’avenir. Mais aussi de transmission de ce principe fondamental qu’est la laïcité, qui semble toujours et encore visé par les intolérants.
Parlons de la laïcité. Vous le savez, nous sommes attachés à son principe, que nous voulons décliner dans toutes ses dimensions, sans géométrie variable. Car une laïcité à géométrie variable, n’est plus la laïcité. Certains au gouvernement se sont réveillés et questionnaient au moment de l’attentat d’Arras, la formation des enseignantEs sur la laïcité. Mais comment être crédible quand en même temps, ce même gouvernement supprime massivement des postes d’enseignantEs, supprimant des brigades de remplacement qui permettent justement aux enseignantEs de suivre des formations sans pénaliser leurs élèves ?
Et puisqu’il s’agit de défendre et de renforcer l’école, il est impensable de le faire sans écouter ses principaux acteurs et actrices que sont les enseignantEs.
Comment défendre donc l’école sans prendre en compte l’amertume de la profession et son sentiment d’abandon. Suite à l’attentat d’Aras, le quotidien Le Monde relatait de nombreux témoignages révélateurs du problème devant nous et des colères de la profession. « Cet attentat cause beaucoup de dégâts car il vient s’ajouter à un mal-être déjà très présent parmi les personnels », pointe ainsi Guislaine David, du SNUipp-FSU.
« J’en ai assez qu’on ne soit des héros dans la bouche des politiques que quand on se fait tuer », cingle Thibaut, professeur d’histoire-géographie. Il attend « des actes forts ». Mais « Ce soutien, dans mon quotidien, je ne le ressens pas », dénonce-t-il, évoquant ses trente-cinq lycéens par classe, le « manque de temps », faute de moyens pour travailler les sujets difficiles avec les élèves, ou encore les salaires de la profession. Le report d’un mois des concours de professeurs pour raison de manque de candidatEs est le nième signal faible de ce malaise profond.
Tous ces sujets restent devant nous.
Nous ne pouvons que saluer le courage de toutes ces enseignantes et enseignants qui, au quotidien, transmettent la flamme du savoir dans les consciences de chacun de leurs élèves.
Mais notre responsabilité politique est désormais de sincèrement et réellement défendre et renforcer l’école.
« L’instruction est la lumière qui éclaire le chemin de l’avenir » disait Victor Hugo. Le chemin est tracé. Donnons-lui sa lumière.