Madame la maire, Mes chers collègues, Nous abordons notre marronnier concernant le financement municipal des crèches confessionnelles. Vous le savez, nous le répétons chaque année, nous avons une question de principe sur ce sujet. Je note que dans les récents débats beaucoup de femmes et d’hommes politiques ont affirmé leur attachement à la laïcité. Être attaché à la laïcité, c’est bien. La mettre en pratique, c’est certainement mieux.
La parole politique ne peut éternellement être en contredite par les actes. Les électeurs et électrices l’ont rappelé de façon cuisante à Emmanuel Macron qui pensait pouvoir dire tout et son contraire. Et pouvoir faire l’inverse et son contraire. Au final, les mots perdent de leur sens, et la politique en sort abimée.
Le sujet de la laïcité est trop important pour être considéré à géométrie variable. La laïcité est un principe. Qui ne se négocie pas à 80%, à 90%. Il s’applique. C’est le principe de la garantie de la liberté de conscience, de laquelle découle la neutralité de l’action publique. En particulier financière. L’actualité continue de nous prouver que tout comme la République, ce principe n’est pas acquis et doit se construire chaque jour.
Car la laïcité est attaquée de toutes parts, dévoyée de son sens. Elle est défigurée et tordue dans le sens de l’intolérance, par des extrêmes-droites qui ne supportent pas la liberté de conscience. Elle est tordue dans une folie identitaire visant à rejeter certains croyants en particulier, à nourrir la haine anti-musulmans, tout en s’appuyant sur les autres religions du livre ou d’autres. La laïcité est aussi est malmenée avec des polémiques absurdes et stériles, comme à la région Île de France avec la charte régionale de la laïcité à géométrie très très variable de Mme Pécresse. Nous rejetons bien sûr toutes ces instrumentalisations. Nous voulons respecter l’esprit et la lettre de la laïcité. Elle suppose de la rigueur, une neutralité absolue de la puissance publique par rapport aux différentes religions. Elle suppose une République une et indivisible dans laquelle les collectivités ne subventionnent pas les institutions liées aux cultes. Une République qui ne reconnaît pas, ne salarie ni ne subventionne aucun culte, en vertu de l’article 2 de la loi de séparation des églises et de l’État.
Pourtant, les associations qui gèrent ces crèches confessionnelles revendiquent clairement et publiquement leur volonté de diffuser des principes et valeurs religieuses. Je pense par exemple aux crèches Ozar Hatorah qui continuent d’affirmer que leur projet est, je cite, « basé sur l’éthique juive basée sur la transmission des valeurs de la Thora qui éveille la conscience religieuse de l’élève et le sensibilise à la pratique des Mitzvot, au respect du Chabbat et à la célébration des fêtes. »
Je pense aussi par exemple à la crèche gérée par l’association Jeunesse Loubavitch qui ferme le vendredi après-midi, comme cela est affiché sur son site, et qui fait l’objet d’une dizaine de signalements à Paris. Je pense également aux différentes crèches Gan Menahem et notamment celle que vous avez ouverte récemment.
Mais je ne pourrai faire du deux poids, deux mesures, concernant les religions. Je pense donc aussi à l’Association familiale catholique Saint-Pierre, j’y étais longuement revenu et il est manifeste qu’ils n’ont aucun tabou quant à l’affichage d’un discours religieux ultra-conservateur. Ainsi ils affirment très tranquillement vouloir "promouvoir une vision de la famille éclairée par l’enseignement de l’église", qui veut "s’inspirer de l’enseignement social de l’Église catholique". Ils affirment d’ailleurs que "l’avortement n’est jamais une bonne solution devant une grossesse imprévue » et considère que « le nombre élevé d’IVG pose un problème de santé publique ». Le caractère religieux de ces différentes crèches n’est plus à prouver.
Un point étonnant c’est de constater l’écart, pour ne pas dire le fossé, entre la communication publique de ces crèches, et qui ne fait clairement pas l’impasse sur un discours très religieux pour attirer leur public, et les conventions passées avec la Ville de Paris. Alors, je le redis tranquillement. Que des crèches décident de diffuser leurs principes religieux est légitime dans un pays laïc. Et que des familles qui s’y retrouvent, veuillent y inscrire leurs enfants, est aussi légitime. Laïcité oblige encore.
Mais tout ceci est illégitime dès lors que ces structures bénéficient de financements publics. Notre ville doit retirer son soutien financier, intégralement, à ces structures confessionnelles pour ouvrir d’autres places de berceaux ailleurs. Qui seront publiques. Et pourront accueillir bien évidemment ces jeunes enfants. C’est là l’enjeu de la laïcité. Rappelons que du fait de la délégation de service public, ces établissements sont censés respecter un service, sans caractère confessionnel.
Enfin, vous nous avez répondu l’an dernier, qu’il existe bien un enseignement privé sous contrat, et que la Ville de Paris pouvait bien créer ses crèches « privées sous contrat religieuse ». C’est une erreur. Le privé sous contrat doit séparer les activités subventionnées, de ses activités religieuses. Impossible dans les crèches. Et puis, il semblerait curieux que la Ville dénonce d’un côté le problème posé par le privé sous contrat dans les écoles et collèges, en particulier sur la ségrégation sociale à l’œuvre dans ces établissements. Et d’un autre côté, s’enorgueillisse de créer du privé sous contrat dans les crèches. Il est temps de cesser ces entorses à la laïcité. Il faut renoncer dès maintenant à ces partenariats. Pour mieux pouvoir reporter l’argent public sur de nouvelles places de crèches publiques qui respecteront de facto la laïcité, et qui pourront tout à fait accueillir dans de bonnes conditions, dans de meilleures conditions tous les enfants aujourd’hui pris en charge par ces crèches confessionnelles. Des crèches où tous les enfants, sans distinction de la religion de leurs parents, seront acceptés.
Nous demandons donc encore à l’Exécutif de revoir sa copie. Paris vaut bien une messe, était un calcul d’un autre temps. Nous vivons désormais dans un état laïc. Poussons la logique inverse qui se traduirait par « Paris vaut bien la laïcité ». Enfin, nous continuons à demander une évaluation indépendante de ces crèches. La dernière évaluation indépendante de 2009 faite par l’observatoire parisien de la laïcité avait conclu au non-respect de la laïcité par ces crèches confessionnelles. Nous ne cessons de demander que cet observatoire soit à nouveau saisi du dossier. Sans réponse. Y aurait-il un problème à être indépendant et transparent sur le sujet ? Nous parlons d’argent public. Cela mérite tout de même d’être considéré avec moins de dogmatisme.
Rappelons qu’une campagne de visites avait été déployée en 2008 ou 2009. Pourquoi cela ne serait-il plus possible 15 ans après ? Par ailleurs, on nous dit Circulez, il n’y a rien à voir aujourd’hui. Que les choses sont beaucoup améliorées en 15 ans. Mais il y a 15 ans, l’exécutif nous répétait déjà, Circulez, il n’y a rien à voir. Il semble que les Shaddocks soient bel et bien toujours d’actualité.
Bref, pourquoi refuser la saisine de cet observatoire parisien de la laïcité, qui est un formidable outil pour analyser rigoureusement les problématiques complexes de la laïcité. Pour finir, certaines observations des services nous alertent d’ores-et-déjà sur la réalité de ces structures : elles demandent de former correctement les personnels, d’assurer une régularité horaire du service rendu, de veiller au respect de la mixité dans les méthodes éducatives et à l’absence de discrimination entre filles et garçons, de proportionner les financements accordés aux services rendus et d’assurer un suivi régulier des crèches, et bien évidemment d’exclure tout prosélytisme religieux de la part du personnel encadrant. On peut dire que cette privatisation du service de petite enfance pose a minima beaucoup de questions.
Je conclurai donc en répétant notre position : la laïcité, toute la laïcité, rien que la laïcité. Reportons sur des crèches publiques le financement illégitime de ces structures confessionnelles. Pour une meilleure mixité sociale et in fine, le respect des principes républicains.