En cette période sinistre de régression des droits des femmes, nous examinons un projet de délibération très à propos : 1,8 million d’euros versé par notre Ville à dix centres de planification familiale et de santé sexuelle gérés par des organismes de droit privé non lucratif qui complètent le maillage essentiel des centres de l’A.P.-H.P. et de la Ville de Paris.
Forcément, lorsque je dis que ce projet de délibération est bien à propos après l’intervention de ma collègue, c’est parce que nous avons toutes et tous en tête les tragiques régressions de l’arrêt Dobbs v. Jackson aux Etats-Unis.
Le droit de millions d’Américaines a été retiré, interdit, criminalisé. Dans la foulée du décret, les Etats fédérés les plus conservateurs se sont empressés de fermer les centres I.V.G., escortés dans ces décisions par l’abjecte pression des puissants lobbys anti-avortement. Huit Etats américains ont déjà interdit le droit à l’avortement, y compris en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la vie de la femme, et vingt-six Etats pourraient être concernés dans les prochains mois.
C’est une décision terrifiante qui intervient dans ce pays développé, où le taux de mortalité maternelle est le plus élevé. Les femmes et les jeunes filles les plus précaires étaient déjà les plus touchées par les restrictions de l’accès à l’avortement, elles seront encore plus mises en danger. Avec elles, ce sont toutes les femmes, peu importe leur classe sociale, qui devront faire face à la fermeture des centres pratiquant l’I.V.G. dans leurs Etats.
Je pense à ce témoignage de Gisèle Halimi qui disait : "Oui, les femmes avortent. Peu importe que ce soit légal ou illégal, les femmes continueront d’avorter. Sauf que quand c’est illégal, les femmes en meurent". Gisèle Halimi expliquait cela très bien, elle qui d’ailleurs parlait de sa propre vie. Elle a pu, par son réseau, ses connaissances, son accès à des médecins, avoir des avortements qui, même s’ils étaient illégaux, ont été moins dangereux pour sa vie que pour d’autres femmes, les femmes les plus précaires, les femmes des quartiers populaires qui avaient recours à la débrouille pour avorter et qui ont pour beaucoup perdu leur vie.
Je veux donc dire ici, depuis Paris, toute ma solidarité et je pense toute la solidarité de notre hémicycle au complet, je l’espère, avec les femmes américaines qui vont maintenant devoir vivre et évoluer dans ce climat.
Et ne nous méprenons pas, toutes ces conséquences ne sont pas spécifiques aux Etats-Unis, parce que restreindre ou interdire l’accès à l’avortement mène systématiquement aux mêmes conséquences. Que ces événements aient lieu outre-Atlantique n’a pas d’importance sur le degré de préoccupation qui doit être le nôtre et doit nous rappeler à chaque instant que les droits des femmes sont fragiles, que chaque régression dans le monde doit engager une solidarité combative, féroce, défensive.
J’en veux pour preuve les déclarations presque immédiates du Vatican, qui s’est satisfait de la décision de la Cour suprême, et également le contexte européen, en Slovaquie, en Pologne, à Malte, où l’I.V.G. est complètement interdit, et en Hongrie.
En France, chez nous, l’I.V.G. est autorisé sans conditions. En réalité, il y a quand même des conditions indirectes et la première est celle de l’état de nos services publics et celle de l’accès aux territoires. Dans des territoires entiers, il n’y a pas d’accès à l’I.V.G. pour les femmes dans des centres de planification familiale ou dans des hôpitaux. N’oublions pas qu’il existe encore aujourd’hui des médecins, qui font valoir une clause de conscience pour refuser de pratiquer cet acte médical, qui est pourtant autorisé et légal. Il y a aujourd’hui des médecins qui refusent de pratiquer ces actes, il ne faut pas l’oublier parce que cela pénalise les femmes dans leur accès.
On pénalise aussi les femmes dans leur accès à l’I.V.G. quand on ferme des hôpitaux. Je pense, par exemple, à la fermeture de l’hôpital Bichat et de sa maternité qui avait un centre I.V.G. Quand on laisse se répandre des associations sur les réseaux sociaux, par exemple quand on leur laisse la possibilité de véhiculer des fausses informations, de faire leur propagande pour toucher des jeunes femmes et des jeunes filles, là aussi on restreint le droit à l’I.V.G. Quand les collectivités, qui ont basculé aux dernières élections régionales, retirent leur financement aux centres de planification familiale des collectivités dirigées par la droite, il faut le dire, là aussi on entrave l’accès des femmes à l’I.V.G.
La constitutionnalisation du droit à l’I.V.G. est une bataille que nous devrons mener nombreuses et nombreux. Elle sera indispensable à préserver ce droit.