Dans les dernières années de sa vie, quelques mois après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Toni Morrison a publié The Origin of Others. Elle a examiné la manière dont les catégories d’altérité sont inventées et renforcées par la littérature, les médias et le discours quotidien dans le but de déshumaniser les autres.
Comment ne pas y trouver un écho à la vie politique française de ces dernières semaines ? Comment ne pas relier ses essais au cirque raciste et décomplexé auquel nous avons fait face pendant 3 semaines avec le Rassemblement National ? Dimanche soir, nous avons démontré qu’une alternative était possible. À partir d’aujourd’hui, il nous faudra trouver comment amputer cette gangrène, qui sinon continuera à se propager dans toutes les fibres de notre République. Toni Morrison avait raison : les catégories d’altérité sont aussi distillées, goutte à goutte, dans les esprits des citoyens par les grands groupes de médias, détenus en France par quelques milliardaires. Cnews et BFMTV sont autant de chaînes qui saturent notre quotidien, pour nous vendre des scénarios dignes des pires films de science-fiction. S’ajoute à cela l’absence de redressement des faits par les autres médias, en vertu d’une neutralité poussée à l’extrême, qui du coup finit par ne plus en être.
Parce que bien que Toni Morrison ait connu le racisme, les discriminations et la pauvreté, comme tant d’autres en France ou aux Etats Unis, elle devint en 1993 la première femme noire et l’unique femme d’origine africaine-américaine à recevoir le Prix Nobel de littérature. Toni Morrison, par ses différents travaux, représente l’ouverture sur le monde, sur les autres. C’est voir bien plus haut et plus loin que les conceptions étriquées du monde que certains veulent nous imposer. La bibliothèque de Parmentier est de son côté une structure dynamique, riche de nombreux partenariats culturels et sociaux, et enfin elle flèche entre-autres ses activités vers des publics éloignés de la culture.
En cela, par ses œuvres, son courage et sa contribution à l’intelligence humaine et à l’universalisme, nommer la bibliothèque de Parmentier au nom de Toni Morrison, une icône de solidarité et d’ouverture, est plus que souhaitable. C’est un acte fort et essentiel. Les hommages, tout comme les symboles, ancrent dans le réel ce que nous voulons léguer aux générations futures - et incarnent les idéaux que nous voulons atteindre.
Les générations futures doivent vivre dans un monde où le passé n’est plus le présent. En 1933, alors que Toni Morrison avait 2 ans, le propriétaire de l’immeuble où sa famille vivait mettait le feu au bâtiment car ils n’arrivaient plus à payer le loyer. Rescapés mais humiliés, ils ont enseigné à leur fille de ne pas baisser la tête. En juin 2023, plusieurs départs de feu enflammèrent une boulangerie à Avignon, taguée d’insultes racistes - les propriétaires ont peur, ils veulent déménager.
En 1946, le père de Toni Morrison fut traumatisé par le lynchage d’hommes parce que noirs : leurs meurtres resteront impunis. A Beaune en 2023, deux hommes furent jugés pour tentative d’assassinat aggravée avec caractère raciste. 7 jeunes furent touchés par balle.
Au travers de tous ces événements, les parents de Toni Morrison lui dirent de ne pas baisser la tête. Ils lui dirent de toujours se montrer digne face à des hommes médiocres. Ils lui dirent d’avancer. Au travers de ces évènements, Toni Morrison a construit un récit universel qui continue de raisonner encore aujourd’hui, y compris en France.
Et c’est ce qu’elle fit. En plus du Pulitzer et du prix Nobel de littérature, elle récolta plus de 40 distinctions et prix au cours de sa carrière. Toute sa vie, par les mots, l’écriture et même la musique, elle mit en lumière les meurtres racistes d’afro-américains. Au-delà de ses engagements pour la mémoire de l’esclavage et l’égalité des sexes, elle joua un rôle majeur dans la reconnaissance de la black littérature à sa juste valeur dans le monde entier ; et fit émerger des personnalités aujourd’hui célèbres, comme Angela Davis.
Pour boucler la boucle, je finirai en ajoutant que la même année 2016, celle de l’élection de Donald Trump dans le pays pour lequel elle a tant fait, elle affirma dans l’un de ses derniers textes que “les Américains blancs ont tellement peur de perdre les privilèges que leur confère leur race, que les électeurs blancs ont élu Trump [...], afin de continuer à faire vivre l’idée de la suprématie blanche”.
Apportons, par sa nomination, notre petite pierre au combat qu’elle a mené jusqu’à son dernier souffle. Honorons sa mémoire, et celle de tant d’autres, en défendant la solidarité, et en prouvant encore et toujours jour après jour que notre différence est notre force.