Louis Juchault de Lamoricière a souvent été célébré comme un héros de la conquête française en Algérie et de la prétendue « mission civilisatrice » qu’il aurait menée là-bas. Après avoir été glorifié pendant un long moment au point de voir des écoles ou autres lieux publics en France porter son nom, aujourd’hui l’occasion nous ait donné réfléchir à ce qu’il était et ce qu’il a fait et plus précisément de questionner la pertinence de baptiser de son nom des équipements publics. Et de questionner la pertinence de le mettre à l’honneur en donnant son nom à un équipement public, qui plus est une école.
Comme pour la débaptisation de l’avenue Bugeaud, la débaptisation du groupe scolaire Lamoricière s’inscrit dans un mouvement de réflexion qui vise à revenir sur la glorification du passé colonial, tant pour ses horreurs que pour son caractère profondément illégitime et immoral.
Des établissements scolaires méritent mieux que le nom de Louis Juchault de Lamoricière, le « plus inhumain » des généraux de la conquête d’Algérie. Lamoricière a été un acteur clé de la colonisation de l’Algérie. Connu notamment pour les razzias, qui consistaient à dévaster systématiquement les villages et à terroriser les populations pour briser toute résistance. Il a été l’un des généraux qui ont promu activement ces crimes de guerre. Cette doctrine a été qualifiée d’« impitoyable » et d’« inhumaine » par les historiens, qui soulignent la souffrance infligée aux populations locales. Son nom témoigne et symbolise une histoire coloniale que nous ne pouvons que dénoncer unanimement.
Le changement de nom proposé dans cette délibération n’est pas un simple geste symbolique, mais l’aboutissement d’une réflexion collective, d’une volonté de mémoire, de justice et d’avenir.
« Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » aimait à répéter Aimé Césaire. Il est essentiel pour nous de digérer de façon critique notre passé dans ses lumières comme dans ses heures les plus sombres. Car il est essentiel de tirer les enseignements de l’expérience humaine pour tracer au mieux le chemin de notre projet collectif.
Cette délibération n’est pas non plus le fruit d’une décision imposée d’en haut, sur un coup de tête qui se traduit en coup de com. Elle est le résultat de deux ans de concertation avec les équipes pédagogiques, les élèves et leurs familles. Et c’est bien avec cette communauté éducative, à l’issue de la concertation, qu’il a été décidé collectivement de ne plus honorer les deux écoles élémentaires Lamoricière.
A rebours des horreurs du passé colonial, nous allons à l’avenir rendre hommage à deux figures majeures du militantisme anticolonialiste de l’entre-deux-guerres dont l’engagement s’est illustré par des actions conjointes en Afrique du Nord : Léonie Wanner et Robert-Jean Longuet.
Léonie Wanner a activement milité pour l’indépendance des pays du Maghreb, notamment le Maroc et la Tunisie. Elle a également créé et animé des comités d’aide aux victimes de la répression coloniale, permettant aux militants nord-africains d’être entendus par les partis et organisations progressistes françaises. Elle est reconnue pour son engagement intersectionnel combinant féminisme, anticolonialisme, pacifisme et justice sociale.
Robert-Jean Longuet, arrière-petit-fils de Karl Marx et petit-fils d’un communard, est aussi reconnu pour son engagement en faveur de l’anticolonialisme, de l’antifascisme, du droit d’asile et de la justice internationale.
Léonie Wanner et Robert-Jean Longuet ont tous deux contribué à donner une voix aux peuples colonisés, aux mouvements indépendantistes du Maghreb et aux réfugiés politiques dans l’entre-deux-guerres et l’après-guerre.
Elle et il sont de vraies références, des sources d’inspiration pour la jeunesse pour la lutte pour l’émancipation, la liberté, la vraie, celle qui se conjugue à l’égalité et la fraternité.
Renommer ces écoles, c’est reconnaître que l’histoire de France n’est pas un récit figé, mais un héritage complexe et vivant, parfois douloureux, qu’il nous appartient de regarder en face. Nous devons transmettre à nos enfants le courage de la lucidité, la force du dialogue, la capacité à faire évoluer nos symboles pour qu’ils soient à la hauteur de nos idéaux.
A l’heure où certains s’engluent dans une mémoire déformée et traumatisante du passé colonial, à l’heure où certains ministres de l’intérieur essaient de réécrire l’histoire et de régler leurs comptes avec un trauma que leurs propres logiques ont causés, nous faisons à rebours un choix de dialogue, d’intelligence collective et de lucidité.
En renommant ces écoles, c’est le choix de l’avenir qui a été fait, de mémoire assumée, mais aussi de respect réel des valeurs républicaines. Cette décision collective réaffirme que l’école est un lieu d’émancipation, de réflexion, de construction de soi et du vivre-ensemble.
A travers cette dénomination, nous voulons croire que nos enfants, fiers d’étudier dans des écoles porteuses d’un message d’ouverture et de justice, sauront bâtir une société plus fraternelle.