La laïcité est trop importante pour être considérée à géométrie variable.
Je me permettrais de citer à nouveau ces mots de Jean Jaurès : « Vous défendrez avec vigueur, avec passion, contre toutes surprises, contre toutes menaces, les institutions de la laïcité et en particulier l’école laïque qui doit devenir la libératrice des cerveaux et l’éducatrice des consciences » ; 110 ans après, le programme de la SFIO n’a pas vieilli. Ces mots résonnent encore à mesure que l’actualité continue de nous prouver que la République n’est pas acquise et se construit chaque jour. Ces mots résonnent particulièrement à l’heure où la laïcité est dans toutes les bouches mais bien souvent tordue, défigurée, trahie.
La laïcité est en effet attaquée de toute part.
Par les extrême-droites religieuses tout d’abord (de toutes les religions, catholique, musulmane, juive ou autres) ; des extrêmes-droites religieuses qui ne supportent pas la liberté de conscience et qui n’ont pas changé : le dogmatisme se couple toujours (et encore) à l’intolérance. Mais elle est aussi menacée par l’instrumentalisation dont elle est victime de la part de l’extrême-droite identitaire, qui cache sous des discours faussement laïc une haine toute particulière contre une religion en particulier, une haine anti-musulman, et de fait, contre les peuples d’Afrique du Nord. La laïcité est pour cette droite extrême, le faux nez de sa xénophobie et son racisme.
Elle est aussi menacée par une partie de la droite (et je ne mets pas tout le monde dans le même panier) qui tente de l’instrumentaliser pour mieux diviser le peuple sur des faux débats. Je pense en cela au non-regretté Jean-Michel Blanquer et ses délires sur l’islamo-gauchisme. En même temps qu’il polémiquait sur ces sujets, nous n’oublions pas que lui et Emmanuel Macron ont largement subventionné l’enseignement bien souvent religieux du privé sous contrat de l’autre, en offrant le cadeau à 140 millions avec la scolarité à 3 ans.
Si pour tous ces acteurs l’atteinte ou l’instrumentalisation de la laïcité est volontaire, je n’oublie pas non plus que la laïcité peut être menacée par des gens de bonne volonté aussi. Qui croient bien faire, mais qui tordent les principes devant les mauvaises habitudes, devant une réalité difficile à changer. Le financement de ces crèches confessionnelles par la Ville de Paris rentre dans cette catégorie, car je ne doute pas de l’intention première de laïcité.
Je le redis donc. La laïcité suppose aussi de la rigueur. Une neutralité absolue de la puissance publique par rapport aux différentes opinions, de la libre pensée // aux croyances diverses et variées. Dans ce contexte particulièrement agité sur la laïcité, avec des polémiques absurdes et stériles sur la longueur du centimètre de tissu, nous restons fidèles à la laïcité dans sa définition. Une laïcité qui n’est pas à géométrie variable, pas modulée. Nous restons fidèles à la laïcité, qui reste un principe qui ne se négocie pas à 50% ou à 75%.
Nous le répétons.
Nous voulons une République une et indivisible, dans laquelle les collectivités ne subventionnent pas les institutions liées aux cultes.
Une « République (qui) ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Les délibérations dont nous parlons proposent pourtant de renouveler les subventions à des établissements d’accueil de la petite enfance, qui sont, et je cite l’inspection générale de la Ville de Paris, « des établissements d’accueil de jeunes enfants gérés par des associations à invocation religieuse ». Ces crèches sont héritées d’un passé lointain de l’ère Chirac et Tibéri.
Alors certains doutent, ou feignent de douter du caractère religieux de ces crèches. Voulez-vous parler de la crèche de l’Association Familiale Catholique Saint-Pierre ? Qui veut, je cite, « promouvoir une vision de la famille éclairée par l’enseignement de l’Église ».
Qui veut, je cite, « s’inspirer de l’enseignement social de l’Église catholique ».
Un « Protocole » a été signé en 1992, puis renouvelé pour la dernière fois en 2021, entre le Président de la Confédération Nationale des AFC et le Président de la Commission Épiscopale de la Famille, afin de préciser les liens entre les AFC et la communauté ecclésiale.
Au niveau diocésain les AFC participent ainsi à plusieurs instances : • Le service diocésain de Pastorale Familiale • L’apostolat des Laïcs • En accord avec le curé, les AFC participent à la diffusion du message de l’enseignement social et familial de l’Eglise au sein de la communauté paroissiale.
Et puis, comme nous voyons aux États-unis les conséquences de l’extrémisme chrétien sur le droit à l’avortement, laissez-moi rappeler ici les valeurs de cette association en la matière. Qui déclare que « L’avortement n’est jamais une bonne solution devant une grossesse imprévue. Une autre politique est possible. » « Cessons de banaliser l’avortement, prenons soin des futures mères en difficulté. » Qui considère que « le nombre élevé d’IVG comme un problème de santé publique », qui n’est pas « une solution pour la libération de la femme ».
J’arrête là pour cette crèche. Les voix de la Ville de Paris sont parfois impénétrables, mais entendre que cette crèche n’est pas à caractère religieux laisse pantois. Alors bien sûr, il n’y a pas que la confession catholique concernée, mais aussi la confession juive. La crèche Ozar Hatorah, elle, affirme que « Les valeurs morales universelles de la Thora guident nos pratiques au quotidien ». La crèche gérée par l’association Jeunesse Loubavitch ferme le vendredi après-midi, c’est même affiché sur son site.
D’autres crèches ne l’affichent pas, mais sont quand même fermées le vendredi après-midi, contrairement à la convention avec la Ville de Paris, par exemple dans le 11e arrondissement. Comment l’expliquer sans sélection sur critère religieux des enfants. J’avoue ne pas connaître les chiffres du nombre de personnes qui travaillent ou pas le vendredi. Je vais dire 1/2 hors religion. Si c’est le cas, sur une crèche typique d’une cinquantaine de berceaux, la probabilité que tous les parents ne travaillent pas le vendredi est de 1/10^15. Un sur un million de milliard. Autrement dit, cela ne devrait jamais arriver si la crèche ne sélectionnait pas uniquement sur critère religieux les enfants inscrits. D’ailleurs, quand je vous ai questionné en 6e commission, vous m’avez bien avoué que certes ces crèches participent aux commissions des crèches. Mais sans jamais mettre au pot commun de berceaux. Bref, la sélection se fait sur la religion.
J’arrête là ma liste, mais le caractère religieux de ces crèches ne peut honnêtement pas être nié. Et c’est là qu’est le problème avec la laïcité. Rappelons que du fait de la délégation de service public, ces établissements sont censés respecter (autant que les crèches de la ville) un service sans caractère confessionnel.
Et pourtant, cette délibération vise à conventionner de telles crèches. L’observatoire parisien de la laïcité avait pointé du doigt le paradoxe dans son rapport sur le sujet. Mais sans effet. Je le redis aussi pour celles et ceux qui feignent l’indignation sélective. Celles et ceux qui crient à l’anti-religion pour mieux cacher leurs petits arrangements avec certaines religions, et leur intolérance face à d’autres.
Nous respectons que de telles crèches puissent mener à bien leur mission. Laïcité oblige. Mais pas avec des subventions publiques. Laïcité oblige aussi. Alors nous le disons aujourd’hui : il est temps de cesser ces entorses à la laïcité.
La laïcité est un principe fondateur. Elle assure la liberté de conscience. La neutralité de l’action publique en découle.
Nous le redisons donc : il faut renoncer dès maintenant à ces partenariats pour reporter l’argent public sur la création de nouvelles places de crèche.
Des crèches publiques, laïques, où tous les enfants seront accueillis sans distinction. Nous demandons donc à l’exécutif de revoir sa copie. Il est encore temps.
Paris vaut bien, non pas une messe, mais des principes.