Dans un article du Courrier International daté du 1er avril, une jeune femme, présente parmi les centaines de milliers de manifestants à Istanbul, déclarait :
« Nous ne sommes pas là que pour İmamoğlu, ce n’est que le déclencheur. Ce que ma génération demande, c’est le droit, la loi et la justice ! »
Ces mots résument toute la portée de la mobilisation actuelle en Turquie. L’étincelle fut l’arrestation, puis le 23 mars, la mise en détention du très populaire maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, accusé de corruption et de terrorisme. Une arrestation arbitraire, politique, survenue au moment même où il devenait officiellement le candidat du Parti républicain du peuple (CHP) pour l’élection présidentielle de 2028 après la primaire maintenue par le CHP qui a pris des allures de plébiscite avec 15 millions de participants dont 13,2 millions de non-membres du parti.
Candidat favori, porté par des millions de turques, celui qui a battu à plate coutures Recep Tayyip Erdoğan à Istanbul — ville stratégique qui concentre à elle seule un cinquième de la population turque et une large part de son économie — est donc aujourd’hui emprisonné.
La manœuvre ne trompe personne. Tout le monde, ses partisans comme ses opposants, a bien compris que cette arrestation vise à faire taire la seule figure d’opposition capable de l’emporter. D’ailleurs, le dossier repose sur des déclarations de témoins secrets. Une accusation commode à agiter devant la communauté internationale. Mais la Turquie ne s’est pas tue. Depuis le 19 mars, la contestation s’intensifie. Le 29 mars, plus de deux millions de personnes ont déferlé sur l’esplanade de Maltepe à Istanbul, nouveau sanctuaire de la résistance depuis l’interdiction de manifester place Taksim. Des slogans tels que « Taksim est partout, la résistance est partout ! » ont résonné dans toute la ville. Le mouvement s’est ensuite étendu à tout le pays : plus de 2 000 personnes ont été arrêtées, dont des journalistes, des étudiants, des avocats, des élus, simplement pour avoir manifesté ou informé.
Dans une lettre lue publiquement, İmamoğlu écrivait depuis sa cellule de la prison de haute sécurité de Marmara : « Je n’ai absolument aucune peur. Car notre chère nation est unie. […] De ma cellule sans fin, je crie : la nation est grande. À chaque action qu’il prend contre moi, Erdoğan montre qu’il fuit les élections et craint son adversaire. »
Ce combat dépasse sa seule personne. Comme le disait cette manifestante, il s’agit désormais d’une mobilisation pour la démocratie, l’État de droit et les libertés fondamentales.
ET ces mêmes méthodes qui frappent aujourd’hui le CHP, ne sont pas nouvelles, hier elles étaient déjà appliquées hier aux élus du Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM), notamment aux maires kurdes, que nous avons déjà défendus dans cette enceinte, notamment lors du vœu adopté en décembre 2017 sur les « Maires et élus locaux en danger ».
L’élément nouveau, et porteur d’espoir, c’est l’unité : samedi dernier, les militants du DEM ont rejoint massivement les cortèges du CHP, drapeaux violets au vent, malgré les tensions historiques. Une image forte. Cette convergence des luttes, née des coalitions victorieuses des municipales de 2019, rappelle que le pluralisme est vivant en Turquie, et qu’il fait peur au régime. Mais la répression s’intensifie : mise sous tutelle des municipalités d’opposition notamment kurde (déjà une dizaine concernée), procès politiques, médias réduits au silence. Erdoğan cherche à faire taire non seulement ses adversaires, mais une génération entière. Une génération qui aspire, pacifiquement mais fermement, à une vraie démocratie.
Le contexte économique s’ajoute à cette crise politique : la lire s’effondre, la Bourse vacille, les milieux d’affaires s’inquiètent. Le pouvoir chancelle, et face à cela, la seule réponse du président turc est la brutalité. Cette contestation, d’une ampleur inédite depuis Gezi en 2013, doit être soutenue. Par la société civile turque, mais aussi par l’ensemble des démocraties européennes. Et c’est précisément ce que nous faisons aujourd’hui.
En attribuant la citoyenneté d’honneur de la Ville de Paris à Ekrem İmamoğlu, nous envoyons un message fort. Nous affirmons que Paris se tient du côté de la liberté, du courage, de la démocratie. Que nous soutenons toutes celles et ceux, qui, en Turquie et ailleurs, se battent pour des droits fondamentaux. Et que, face à l’arbitraire, nous ne resterons jamais silencieux.
Je vous remercie